Vous avez sans doute accueilli avec soulagement la pluie de la nuit dernière. Mais je suppose qu’il en faudra beaucoup d’autres pour que les barrages de Kinguélé-Tchimbélé retrouvent le volume d’eau perdu.
François Ombanda : Le problème, c’est qu’il n’est pas tombé une goutte d’eau à Kinguélé-Tchimbélé. Je conçois que ce soit difficile à imaginer, mais c’est malheureusement ainsi. Cependant, l’averse de la nuit dernière sur la ville est un bon signe que les pluies sont de retour. Mais vous l’avez dit, il en faudra beaucoup pour que les réserves se reconstituent. Aujourd’hui, le barrage a perdu près de 80% de ses réserves en eau.
Est-ce que la faible pluviométrie associée à la vague de chaleur que nous connaissons actuellement, est responsable d’une consommation en énergie élevée ? Une entreprise comme la votre n’a-t-elle pas le devoir d’anticiper toutes les situations ?
François Ombanda : La sécheresse et cette chaleur à cette période de l’année sont inédites en plus de trente ans. C’est une donnée objective, dont le caractère exceptionnellement brutal et prononcé surprend les experts et, c’est incontestable, nous a pris de court. Nous avions anticipé la hausse importante de la consommation et la nécessité de diversifier nos sources de production pour ne pas être trop dépendants des aléas climatiques. Les deux groupes thermiques de 15 MW qui ont été livrés il y a un mois sont un investissement décidé il y a presque deux ans. Ces équipements sont longs à installer. S’ils étaient arrivés un mois plus tôt, nous n’aurions pas connu cette situation. Mais nous n’aurions normalement dû en avoir besoin qu’en juin prochain.
Patrice Fonlladosa : Les phénomènes climatiques brutaux se multiplient depuis deux ans. Ils perturbent l’activité économique dans beaucoup de régions du monde, en particulier les services publics. L’été dernier, plus du tiers des départements français ont connu des restrictions d’eau importantes à cause de la sécheresse. Il y a quelques semaines, les aléas météorologiques ont totalement privé d’électricité plusieurs dizaines de milliers de foyers français pendant plusieurs jours. Sans parler des dégâts causés par l’ouragan Katrina en Floride, ou du Lac Tchad qui a perdu les deux tiers de sa surface en quelques années. Ce sont des phénomènes qui affectent toutes les régions du monde. Le Gabon reste pourtant un exemple, en particulier en Afrique sub-saharienne. Les délestages que nous connaissons depuis une semaine à Libreville sont une première au Gabon. Dans tous les pays de la région, de Dakar à Yaoundé, de Cotonou à Brazzaville, cette situation dure toute l’année et depuis des années. Nous mettons en œuvre tous les moyens nécessaires pour que Libreville retrouve le niveau de service auquel nos clients sont habitués, et répondre à leur légitime exigence de qualité.
Dans l’hypothèse où la pluie ne ferait pas un retour durable et significatif, les solutions que vous mettez en œuvre peuvent-elles aider à mettre fin aux délestages ?
François Ombanda : Pour répondre à la demande de consommation aujourd’hui, il nous manque de 10 à 15% de notre puissance. C’est peu mais cela suffit à déséquilibrer l’ensemble du réseau. Les groupes de secours que nous faisons venir d’urgence nous fourniront la puissance qui nous manque. D’autre part, la mise en service des deux nouveaux groupes de 15 MW, prévue pour juin mais qui seront opérationnels progressivement à partir de fin mars, apporteront une réponse durable au problème de dépendance vis-à-vis des ressources hydrauliques.
Patrice Fonlladosa : Pour atténuer encore les risques liés aux aléas climatiques à court et moyen terme, nous avons pris la décision de garder à Libreville ces groupes de secours dont le premier arrive le jeudi, au moins jusqu’à la fin de l’année, en prévision de la saison sèche de juin à septembre.
Le recours à des groupes électrogènes de forte capacité ne pose-t-il pas d’autres problèmes, notamment ceux liés à la dégradation de l’environnement par exemple ? Parmi les solutions d’avenir, il y a le gaz qui mettrait fin, selon votre expression, à la dictature de l’eau. À quel horizon le consommateur devrait-il commencer à en bénéficier ?
François Ombanda : L’hydraulique reste la solution de base, et des études sont prévues pour un nouveau barrage. Mais il est important que le Gabon ne soit pas dépendant d’une seule source d’énergie. La situation que nous connaissons aujourd’hui le démontre. L’option nucléaire, qui pose d’ailleurs d’autres problèmes écologiques, n’est pas d’actualité. Le Gabon est un pays riche en hydrocarbures : cette option s’impose. Elle doit bien évidemment être mise en œuvre dans le souci du respect de l’environnement : c’est ce que nous faisons. Des études environnementales sont menées, des dispositions sont prises pour maîtriser l’impact écologique de nos installations.
Patrice Fonlladosa : Il n’existe pas de solution sans impact environnemental. Un barrage pose aussi d’énormes problèmes environnementaux : équilibre des écosystèmes, impact sur la faune et la flore, respect du cycle d’écoulement des eaux, implications sur le renouvellement des nappes phréatiques...La préservation de l’environnement est au cœur de la démarche de Veolia, dans le monde entier et au Gabon. Notre groupe est internationalement reconnu pour cela. C’est notamment ce qui nous a conduit à travailler au Gabon sur le passage de nos installations thermiques au gaz naturel. Le gaz naturel est une solution à la fois économique, moins cher que le fioul, et écologique, dont l’impact sur l’environnement est quasiment nul comparé au fioul. Nos installations thermiques à Owendo fonctionneront au gaz naturel dès la fin de cette année.
Avez-vous été surpris par la réaction du gouvernement, celui-ci suggérant que vous n’avez pas prévu « les investissements nécessaires à l’évolution de la consommation d’énergie » ?
François Ombanda : C’est le rôle du gouvernement de rappeler l’opérateur que nous sommes à ses obligations, en particulier lorsque la continuité du service public vient à être perturbée aussi fortement. Si l’on parle de répondre à l’évolution continue de la consommation, d’autres ont pu faire cette remarque, mais le gouvernement sait que l’investissement nécessaire a été engagé, lancé en 2005, qui a permis d’acquérir les deux groupes de 15 MW livrés il y a un mois. Nous sommes partenaires, le gouvernement contrôle notre activité tout au long de l’année. Patrice Fonlladosa : Le gouvernement nous demande avec fermeté de remédier rapidement à une situation dont nous savons qu’elle est ponctuelle. À juste titre car au-delà d’une simple obligation contractuelle, nous parlons des conditions de vie des Librevillois. Nous mettons les moyens nécessaires pour surmonter cette situation exceptionnelle. Au-delà, l’évolution des capacités de production de la SEEG, qui fait l’objet d’une concertation continue avec les autorités, correspond à l’évolution de la consommation. Il est vrai que si la décision sur l’investissement dans 30 MW supplémentaires, prise en 2005, avait pu l’être quelques mois plus tôt, nous ne connaîtrions pas cette situation. Nous le regrettons.
De votre point de vue, pensez-vous qu’il est nécessaire de réexaminer en profondeur la convention de concession liant l’État gabonais à Veolia ou maintenez vous l’affirmation selon laquelle les termes et les clauses en ont été respectées ?
François Ombanda : La concession de ce service à un opérateur privé avait été décidée en 1997 parce que la SEEG n’avait pas les moyens et l’expertise nécessaires pour assurer sa mission. Je parle en connaissance de cause : j’en étais le Directeur Général à ce moment. Nous couvrions moins de la moitié de la population, nous ne parvenions pas à suivre la demande en extension des réseaux ni en production, et nous étions au bord de la faillite. Nous sommes conscients que nos clients ont des motifs d’insatisfaction. Il y a encore beaucoup d’améliorations à apporter au service, en qualité et en continuité. Mais il me semble que l’on doit juger la qualité du service dans la durée, non sur un événement.
Patrice Fonlladosa : Chacune des deux parties peut souhaiter réexaminer le contrat, qui prévoit d’ailleurs cette possibilité. Des amendements y ont déjà été apportés. Nous sommes ouverts à toute discussion. Comme pour tout contrat, il appartient aux parties de se concerter pour en trouver la bonne interprétation, et les bons moyens de son exécution. Si l’on parle des objectifs quantifiés fixés par le contrat pour la desserte des services, soyons clairs : la SEEG a dépassé ces objectifs. Ceux-ci sont définis par le contrat en taux de couverture de la population gabonaise. À fin 2006, le contrat fixe l’objectif de 56% de la population raccordée à l’eau potable et 75% à l’électricité. La SEEG couvre aujourd’hui 67% de la population pour l’eau et 94% pour l’électricité. Les objectifs sont incontestablement dépassés. En 1997, au total, Veolia s’était engagé sur un montant de 300 milliards de francs CFA sur 20 ans. Après dix ans, nous avons déjà investi plus de 255 milliards, et programmé plus de 310 milliards pour les dix ans à venir. Au total, presque le double de nos engagements sur les investissements.
Êtes-vous d’accord avec le syndicat de votre entreprise, qui considère que l’État, pour sa part, n’a pas joué son rôle, notamment dans le contrôle des investissements que vous avez consentis pour la maintenance et l’amélioration des équipements ?
François Ombanda : Monsieur Fonlladosa soulignait à l’instant que nous en sommes à près du double des investissements sur lesquels nous étions engagés. Il me semble donc que l’État a bien joué ce rôle -et même très bien. Le contrat prévoit en particulier un programme de 100 milliards sur 20 ans pour ce qui est des investissements de renouvellement. À ce jour, le programme est respecté. Par contre, il est vrai que nous avons parfois des problèmes de maintenance de certains équipements. Nous avons notamment eu une défaillance, il y a deux ans à Ntoum, sur la production d’eau potable. Mais les problèmes que nous rencontrons sont d’ordre technique, indépendamment des montants d’investissements.
Que répondez-vous aux ONG qui vous reprochent d’avoir laissé, sans réaction de votre part, le volume d’eau baisser dans les barrages jusqu’à son plus bas niveau ?
François Ombanda : Chacun son métier. Les ONG ont un rôle utile pour représenter les consommateurs et faire valoir leurs demandes, ou attirer l’attention des pouvoirs publics ou des entreprises sur des enjeux économiques ou sociaux. Il me semble que nos équipes sont mieux qualifiées pour exploiter efficacement nos équipements.
L’État vous invite à prendre en compte, « avec célérité », les demandes de dédommagements que les consommateurs ne manqueront pas de vous adresser. Vous semblez, à votre niveau, envisager un geste commercial. Quel pourrait être ce geste ?
François Ombanda : Le principe d’un geste commercial a effectivement été évoqué. À la demande du gouvernement, son niveau et ses modalités pratiques doivent être définis par une commission spécialement désignée. Vous en serez informé le moment venu.
Pour finir, avec l’expérience que nous vivons et les dérèglements climatiques qui sont désormais une réalité, pouvez-vous assurer qu’on ne vivra désormais plus ce type de crises ou, à tout le moins, qu’on saura mieux les affronter ?
François Ombanda : Nous le disions, au-delà de la situation actuelle, qui est exceptionnelle, notre pays est une exception en Afrique sub-saharienne par la qualité de notre service public d’eau et d’énergie. Un niveau même supérieur à bien des pays d’Amérique ou d’Asie, et même de pays européens. Il ne faut jamais dire jamais, mais la diversification de nos sources de production doit en effet nous permettre d’être beaucoup moins dépendant des aléas climatiques.
Patrice Fonlladosa : Veolia est présent dans plus de 80 pays dans le monde. Le « zéro crise » n’existe nulle part. Nous rencontrons des difficultés tous les jours, partout dans le monde, parfois des crises importantes. L’expertise que nous avons développée nous permet d’y faire face et trouver les meilleures solutions pour résoudre ces situations le plus rapidement possible.
FIN/IPG/BGG/2007
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