Emile Kenfack porte encore les stigmates de son incarcération à la prison de New-Bell. Sale et amaigri, le jeune homme de 24 ans, qui a passé toute son enfance dans la rue, n’a rien oublié de la journée du 03 octobre. "Des policiers nous ont coincés alors qu’on échangeait entre enfants de la rue. Ils nous ont jetés dans leur car où se trouvaient déjà d’autres enfants pour nous conduire au commissariat", se souvient-il. Ils sont douze à être auditionnés et à être accusés de "criminalité et grand banditisme". Gardés à vue pendant trois jours au commissariat, ils sont ensuite transférés à la prison de New-Bell.
Maintien de l’ordre
Les policiers leur indiquent alors qu’il s’agit d’une garde à vue administrative décidée par le préfet du Wouri et qu’ils seront libérés au quinzième jour de leur détention. "L’un des policiers nous a dit que le préfet en avait décidé ainsi parce que le président de la République arrivait à Douala et que les gens comme nous étaient redoutés. Il fallait donc nous enfermer durant le temps de sa visite et nous libérer après", raconte Emile Kenfack.
Au quinzième jour de leur détention dans ce pénitencier, dormant à la belle étoile et vivant de racolage, les douze, qui attendent d’être libérés, sont rejoints par treize autres enfants de la rue arrêtés dans des circonstances similaires et convoyés en prison sur ordre du même préfet. Sans conseils, mais encouragés par d’autres détenus, Kenfack et son groupe vont alors écrire une série de lettres qui seront transmises au préfet par les religieuses catholiques qui visitent régulièrement cette prison. Après 45 jours derrière les barreaux, ils sont enfin libérés. L’attestation de levée d’écrou remis à chacun d’eux indique que cette libération est décidée par arrêté préfectoral abrogeant deux autres arrêtés de la même autorité. On peut y lire que le motif d’incarcération est bien "criminalité et grand banditisme". Pourtant les gardés à vue n’ont jamais été présentés à un juge et aucune enquête n’a été ouverte contre eux.
Droits violés
"C’est la preuve d’un abus manifeste et d’une violation flagrante des droits des victimes, car, selon le Code de procédure pénale en vigueur depuis 2007, nul ne doit être incarcéré dans une prison sans un mandat de justice", fulmine Maître Sterling Minou, avocat à Douala. En effet, dans le chapitre relatif au mandat de justice (article 12) de ce code, il est précisé : "(1) Le Procureur de la République peut décerner : a) des mandats de comparution, d’amener, de perquisition et d’extraction ; b) des mandats de détention provisoire en cas de flagrant délit. (2) Le Juge d’Instruction peut décerner mandat de comparution, d’amener, de perquisition, d’arrêt, de détention provisoire et d’extraction. (3) La juridiction de jugement peut décerner mandat de comparution, d’amener, de perquisition, d’arrêt, de détention provisoire, d’incarcération et d’extraction".
Aucune initiative de ce type n’est donnée aux autorités administratives qui continuent à se référer à la loi du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre. Ce texte permettait à un gouverneur ou à un préfet d’ordonner la détention administrative, pour quinze jours renouvelables, de personnes dans le but de maintenir ou restaurer l’ordre public, et dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. "Le débat ne se situe plus au niveau du renouvellement de la garde à vue, car il me semble que l’article 746 (1) du nouveau code de procédure pénale a tout tranché en stipulant que sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi. L’article 2 précisant que ledit code est d’application générale sous réserve de certaines dispositions prévues par le Code de Justice Militaire ou des textes particuliers", conteste Sterling Minou.
Porter plainte
En violation totale de ces textes de 2007, 240 des 2 599 pensionnaires de la prison de New-Bell étaient des gardés à vue sur ordre des autorités administratives ou du commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire de Douala, à la date du 16 novembre. "Le droit administratif est par excellence un droit exorbitant et il arrive effectivement que l’autorité administrative par simple népotisme ou favoritisme ou pour un intérêt personnel abuse de cette prérogative dans l’exercice de ses pouvoirs", explique Maxime Bissay, coordinateur de l’Action catholique pour l’abolition de la torture (Acat Littoral).
Me sterling Minou conseille aux victimes de poursuivre les autorités administratives en justice. "Les jeunes convoyés en prison doivent engager une procédure pour séquestration et détention abusive. Cela ne va certes pas aboutir à la condamnation des responsables, mais pourrait servir de pédagogie à nos fonctionnaires", argumente-t-il. "L’Acat serait heureuse d’accompagner des victimes de telles injustices dans la mesure où elle reste convaincue que les cas de garde à vue administrative abusive sont légions dans la République", propose Maxime Bissay.
FIN/INFOSPLUSGABON/MML/GABON 2011
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